Nina Bernagozzi
Menu                                                                                                

   









   english     text(e)   


Pleine d’incertitudes.  

Nous vivons à une époque charnière, en mesure d’affirmer que la réalité du monde est incertaine, non seulement
quant à son devenir, mais aussi intrinsèquement, j’entends par là, que la voix du scientifique, à son tour,
confirmerait cette incertitude constitutionnelle, où la réalité se joue dans une coexistence d’états profondément
contradictoires de la discontinuité physique.

Une réalité pleine d’incertitudes.
En conséquence, mon travail, ne peut être autrement que chargé de doutes et d’ambiguïtés.
Il invoque ces oscillations irrésolues, ces infimes variations qui habitent nos coeurs au quotidien, qui ne cessent
de nous tirailler entre l’obscurité et la lumière. Mes images se trouvent et interrogent précisément cet interstice,
cette tension, entre deux pôles, qu’il me semble essentielle de préserver.

À travers la peinture, je tente d’offrir un éclairage poétique sur une nouvelle habitabilité du monde, qui prend
acte de son instabilité, de l’aléatoire fondamental afin d’en faire surgir une pensée ouverte et en devenir, qui fait
voeux d’une acceptation totale du mystère *, qui l’embrasse entièrement par un engagement dans une pratique
fondée sur une dialectique profonde; seule brèche capable d’annihiler le dualisme réducteur, simpliste et dangereux.

Une dialectique, qui prend appui et racine sur une poétique picturale de l’eau, de sa fluidité.
Ma technique est aqueuse, humide, elle tente de plonger dans une imagination de la matière, qui, a terme, vise
d’effleurer une imagination morale. Une imagination gardienne d’une logique capable d’incarner le levier
puissant pour nous revivifier, nous re-solliciter, afin de nous permettre de vivre de nouveau nos expériences
intimes dans l’épaisseur d’un présent qu’elles permettent d’infléchir. Une imagination nous plaçant dans une
marge où la fonction de l’irréel vient séduire ou inquiéter et toujours réveiller l’être endormi dans ses automatismes.

Une marge, que l’on pourrait appeler des expériences de seuils. Je considère mes images comme des lieux par
lesquelles je convoque (j’invoque) ces petits dieux des seuils, comme les nommait Gaston Bachelard et où nous
nous vivons tels des dormeurs éveillés, des rêveurs lucides.

La méditation d’une matière tel que l’eau,  éduque une imagination ouverte, car nous plongeons dans un double
mouvement, d’une part l’approfondissement - insondable, elle est mystère - , de l’autre l’essor - elle est une force inépuisable -.

L’eau est primitive, elle fait partie des images fondamentales, elle est un véritable élément psychique, un élément
qui amasse les images dans nos rêves comme dans nos pensées, un élément qui règne dans notre conscient,
comme dans notre inconscient, une matière que nous avons en nous et hors de nous, une réalité et une puissance.

L’eau dont je cherche à rendre compte, est celle qui lorsqu’elle émerge, nous dit quelque chose de notre propre émergence.
Elle m’a toujours semblait être le plus intime miroir pour explorer l’âme, car elle concrétise l’ambivalence qui vit au coeur de l’homme,
sa dialectique irrésolue, sa tension vivante.
Ce qui caractérise l’eau, c’est sa chute, et travailler avec elle, est une tentative pour la réduire.

Plus que tout autre, l’eau est teintée par la mélancolie, car elle connait la peine,
elle est une expérience du monde pas totalement réconciliée, elle dit de sa douceur blessée.

Mais, jamais son souffle ne s’éteint, malgré les aléas, elle ne peut se détacher d’une conscience du dynamisme fondamental,
élémentairement, elle est liquide, et sa substance entraine un type d’intimité particulier, un destin essentiel qui métamorphose sans cesse la substance de l’être.


Pour cette raison, mes images gardent en elles quelque chose d’inachevé, toujours elles essaient de demeurer
sur ce seuil d’indétermination, un point juste de vibration, sur lequel ces images tendent à rendre visible la
survivance de l’eau, s’emparant de la souplesse du fauve, pour maintenir une tension, une suspension, un souffle,
retenu mais encore présent.

Des images surprisent dans l’acte de leurs arrêt, - Stillstand *- , un arrêt soudain entre deux mouvements,
dans une pause immobile mais chargée tout ensemble de mémoire et d’énergie dynamique *.

Mes images tentent de faire ressurgir quelque chose de semblable au fourmillement,
une sensation entre le tremblement et l’engourdissement, des persistances rétiniennes.

Des flux de désirs qui s’échappent, une mémoire, laquelle est affection, énergie capable de troubler le corps.

S’ancrer par l’encre.









* théorie développée dans Renaissance sauvage - l’art de l’Anthropocène - de Guillaume Logé.



* Walter Benjamin, Dialektik im Stillstand   “Ce n’est pas que que le passé projette sa lumière sur le présent ou le présent sa lumière sur le passé,

mais l’image est ce en quoi ce qui a été s’unit d’un trait de foudre avec le maintenant (Jetzt) en une seule constellation. En d’autres termes: l’image est dialectique en position d’arret.”




* propos de Domenico, célèbre chorégraphe du quattrocento, dans son traité Della Arte di ballare et danzare, lorsqu’il s’attarde sur le plus essentiel des six éléments fondamentaux de l’art, à son sens et qu’il nomme, “fantasmata” .









STILLSTAND






La réalité des hommes est pleine d’incertitudes, mon travail, par conséquent est chargé de doutes et d’ambiguïtés.
Il invoque ces oscillations irrésolues, ces infimes variations qui habitent nos coeurs au quotidien, qui ne cessent de
nous tirailler entre l’obscurité et la lumière.
Mes images se trouvent et interrogent précisément cet interstice, cette tension entre deux pôles qu’il me semble
essentielle de préserver.

Cette tension, c’ est aussi celle qui se joue entre dessin et peinture, et c’est pour cela que je préfère,
pour évoquer ma pratique, parler d’encres.

Lorsque je m’empare d’un “motif”, d’une “figure” - comme l’huitre, ou la chrysalide - , celui-ci a toujours deux visages,
le motif même, ayant été choisi avec soin, pour la charge d’ambivalence qu’il contient, et c’est une prière pour moi que de
répéter, d’une façon toujours renouvelée cette figure chargée d’ inconstance, en tentant de restituer, de préserver, et d’accueillir
en son coeur la dialectique, au sein de ces formes aux contours et au contenus mouvants, pour tenter d’annihiler le dualisme
réducteur, simpliste et dangereux.
La dialectique étant la seule brèche (fente- ouverture) que j’entrevois pour notre coexistence.


Physiquement, mon outil de pensée, est aussi mon matériau principal de travail: l’eau.
C’est avec elle que je suis en dialogue chaque jour à l’atelier. Lorsque je réalise mes grands formats, je commence par inonder
mes papiers, et ce premier geste va acter une temporalité particulière, car je ne vais agir que dans ce temps humide.
L’eau m’assigne à ma juste place, me guide vers plus d’humilité, car je ne dois pas tenter de la maitriser, d’introduire un rapport
de force, mais plutôt une entente. Je dois l’accompagner, écouter ses mouvements. Elle me pousse à faire de la place en moi,
pour accueillir ce qui advient, et la joie qui survient lorsqu’elle me surprend.
Et lorsqu’enfin elle se fixe sur le papier, se joue une rêverie de l’imprégnation, car l’encre ne se cristallise pas à la surface de mon papier,
mais pénètre ses fibres à l’instar de la teinture, le papier boit le liquide et ils font corps ensemble, ils s’épousent.

L’encre sèche et l’image apparait, et si celle-ci est convaincante, elle doit rendre visible la survivance de l’eau, elle a su s’emparer de la
souplesse du fauve, pour maintenir une tension, une suspension, un souffle retenu mais encore présent.
L’image est surprise dans l’acte de son arrêt,  - Stillstand *- , un arrêt soudain entre deux mouvements, tel qu’il contracte virtuellement
en sa propre tension interne la mesure et la mémoire, dans une pause immobile mais chargée tout ensemble de mémoire et d’énergie dynamique *.

Mes images sont immobiles, mais tentent de faire ressurgir quelque chose de semblable au fourmillement, un espace entre
le tremblement et l’engourdissement, des persistances rétiniennes.
Des flux de désirs qui s’échappent, une mémoire, laquelle est affection, énergie capable de troubler le corps.




* Walter Benjamin, Dialektik im Stillstand   “Ce n’est pas que que le passé projette sa lumière sur le présent ou le présent sa lumière sur le passé,

mais l’image est ce en quoi ce qui a été s’unit d’un trait de foudre avec le maintenant (Jetzt) en une seule constellation. En d’autres termes: l’image est dialectique en position d’arret.”




* propos de Domenico, célèbre chorégraphe du quattrocento, dans son traité Della Arte di ballare et danzare, lorsqu’il s’attarde sur le plus essentiel

des six éléments fondamentaux de l’art, à son sens et qu’il nomme, “fantasmata” .








-----

EN.





STILLSTAND



The reality of men is full of uncertainties, my work, therefore, is loaded with doubts and ambiguities. It summons these unresolved oscillations,
these tiny variations that inhabit our heart daily and which constantly torn us between darkness and light.
My images stand and precisely question this interstice, this tension between two poles that i find essential to preserve.

This tension is also the one that plays out between drawing and painting, and that is why I prefer, to evoke my practice, to talk about inks.

When I seize a “pattern”, a “figure” - like the oyster, or the chrysalis -, this one has always two faces: the pattern itself, having been chosen
with care, for the charge of ambivalence that it contains, and it is a prayer for me to repeat, in an ever-renewed way, this figure charged with
inconstancy, while attempting to restore, to preserve, and to welcome in its heart the dialectic, within (among) these shapes with moving
outlines (edges) and contents, in an the attempt to annihilate the reductive, simplistic and dangerous dualism.
The dialectic being the only breach (crack-opening) that I foresee for our coexistence.


Physically, my tool of thought is also my main working material: water.
I am in dialogue with it every day in the studio. When I make my large formats, I start by flooding my papers, and this first gesture
will record a particular temporality, because I will only act (operate-proceed) in this humid time.

Water assigns me to my rightful place, guides me towards more humility, because I must not try to dominate it, nor to introduce a power relationship
upon it, but rather an understanding. I have to accompany her, listen to her movements. It pushes me to make space in myself,
to welcome what happens, and the joy that arises when it surprises me.
And when it finally settles on the paper, a reverie of impregnation plays out, because the ink does not crystallize on the surface of my paper,
but penetrates its fibers like a dye, the paper drinks the liquid and they form a body together, they marry each other.

The ink dries and the image appears, and if the latter is convincing, it makes visible the survival of the water, it knows how to seize the flexibility
of the beast, to maintain a tension, a suspension, a breath held but still present.
The image is surprised in the act of its stop, Stillstand *- , a sudden stop between two movements, such that it virtually contracts in its own internal
tension the measure and the memory, in a motionless but charged pause all together memory and dynamic energy *.

My images are motionless, but try to bring out something similar to a tingling, a space between trembling and numbness, a retinal persistence.
Flows of escaping desires, a memory, which is affection, an energy capable of disturbing the body.








* Walter Benjamin, Dialektik im StillstandIt is not that the past sheds its light on the present or the present its light on the past,

but the image is that in which what has been unites from one lightning stroke with the now (Jetzt) in a single constellation. In other words: the image is dialectical in the stop position.”





* Comment by Domenico, famous choreographer of the quattrocento, in his treatise Della Arte di ballare et danzare, when he dwells on the most essentia

l of the six fundamental elements of art, in his view and which he calls, “fantasmata ” .













































































© Nina Bernagozzi-2019 / Cannot be used without permission.