Nina Bernagozzi
Menu                                                                                                

   









   english     text(e)   







OSTREA / OSTREON


La Marchande de quatre saisons  I  -   HÎVER      / 22 Février 2020

Dîner-exposition à Bagnolé_ - artist-run-space / Bagnolet







« Entre les hommes il y a une île, je veux aller sur cette île. »



Ostreon, la racine grecque de l’huître, a donné naissance au concept d’ostracisme.
Durant l’Antiquité, l’Ecclésia utilisait la partie plate de l’huître comme bulletin de vote afin d’exclure
un membre de sa communauté jugé trop puissant, présentant ainsi un danger pour la démocratie, pour un bannissement de dix ans.
En contre-pied Ostrea, la racine latine de l’huître, renferme en elle ce fruit indiscutablement érotique et féminin dont usait Casanova
comme objet de séduction, de préliminaires.

Ce premier acte m’est très personnel, il clôture une lente et longue période de vacillements dans laquelle j’ai demeuré enfermée dans une coquille.







------








Suite à mon rêve, je me suis éveillée très tôt, ce matin là, il faisait encore nuit, je suis allée cueillir des Narcisses dehors. L’hiver avait été particulièrement doux, suspicieusement clément, les premières trompettes jaunes-tendres, se répandaient dans les rues, en cascades,
de façon étrangement précoce. Coupant mes treize fleurs, je revoyais les images rêvées dont j’ai oublié les formes aujourd’hui, plus que d’un sommeil, elles découlaient d’effusions colorées qui me parvenaient lors de mes brefs assoupissements. Déjà ma journée commençait,
dans cet espace à la fois diurne et nocturne, qui m’accompagnerait jusqu’à la nuit prochaine. Ces journées dans lesquelles le corps devenait un savant mélange de souplesse et de tensions musculaires, pourvu de membres tentaculaires, tel une pieuvre en immersion, agents
de ces temporalitées sous le niveau de l’eau.
Puis j’ai commencé à cuisiner.
J’ouvrais les premières huitres et ce sont elles qui, m’enivrant de leurs brises marine, me ramenaient au rivage. À toute allure la journée s’ écoulait et les premiers invités arrivaient déjà. D’immenses tablées labyrinthiques étaient dressées, sur lesquelles voguaient les silhouettes
érotiques peintes, de mes nappes, encore blanches, qui se coloreraient bientôt des jus ostracisés, tels des reliques émotionnelles des regards échangés entre les convives de ce dîner.
Peintures procédurières, que je garde roulées pour le jour où il faudra faire Acte.
Dans la salle, le bruit enflait, l’exaltation et les discussions se frayaient un chemin, chacun trouvait sa place, s’attablait et sans en être nécessairement conscients, ils embarquaient sur mon chalut claudicant pour une traversée.
Les huîtres commençaient à affluer. La première ayant déjà été gobée dans le sasse par lequel on entrait dans les lieux et qui me séparait -moi, en cuisine- du dîner qui se tenait en salle.

Alors insidieusement, je m’ostracisait (une dernière fois) pour faire don ou sacrifice orgiaque de mes coquilles. Une douzaine de plats allaient s’en suivre, amour et mort parmi les mollusques, les convives savouraient mes jus hivernaux de recluse(s), peut-être ressentaient-ils
du bout de leurs papilles gustatives, les yeux mi-clos, lors de leurs succions liminaires, le regard des ostracisés qui permettait d’observer le monde avec retrait. État que les dérangés habitaient déjà et auxquels je dédiait ce festin.

Pour que la houle les chahute un peu, j’avait placé sur les tables des radios par lesquelles étaient émies mon message. Au coeur de l’hiver, en pleine mer, les quarante participants me laissaient à la manoeuvre  pour naviguer cette embarcation fragile où tenait place une orgie féodale,
un banquet dont je ne connaissait moi-même, pas l’issue.






















                                                                                                                                                                                                                                             

















Menu

Ostrea/Ostreon
Treize à la douzaine





I

Huître fraiche, avec sa deuxième eau et un trait de citron

(1)




II

Risotto à l’eau d’huÎtre et au cidre, sésame et parmesan,

Deux huîtres crues, citron vert et une huître pochée entre deux feuilles de bergamote.

(2-3-4)




III

La seule qui ne soit pas servie dans sa coquille,

mais sur

une tuile de sarrasin, huître nature, daïkon crémé et moutardé, poire

Et perle d’eau d’huître

(5)




IV

Une huître nature

(6)




V

Raviole-huître,

Huître, échalotes confites au beurre demi-sel, crème de cresson, servie dans sa coquille

(7)




VI

Huître, râpé de céleri rave, crème moutardée, jus de cédrat,  julienne de pomme granny

et pesto d’amandes, menthe, huile d’olive

(8)




VII

Huître fraiche et pointe de vinaigre,

Issu d’une mère de plus de quarante ans d’age

(9)




VIII

Huître fraiche, confiture de pamplemousse amer au miel de pin et gin  

(10)




IX

Huître fraiche, citron et son toast de pain d’épeautre et beurre d’algues

(11)




X

Huître fraiche, granité de betterave et fromage extra-frais et crémeux de brebis

(12)




XI

Huître crue, kumquat confit, suprême de pamplemousse et datte Medjool

(13)
























 






















































































© Nina Bernagozzi-2019 / Cannot be used without permission.